On l’attrape en coup de vent entre les préparatifs pour son prochain film et un passage à la Comédie-Française où sa mise en scène du Côté de Guermantes s’est jouée jusqu’au 14 mai… Écrivain (pour la jeunesse et les adultes), cinéaste, metteur en scène au théâtre et à l’opéra, qui revendique « l’impureté » de sa démarche, Christophe Honoré est un homme très occupé. L’auteur de Ton père (éd. Mercure de France, 2017) a cependant accepté avec enthousiasme la proposition que lui a faite le festival MOT pour Mots de parrainer cette troisième édition.
Quel rapport entretenez-vous avec les festivals littéraires ?
À mes débuts, en littérature jeunesse, je me souviens à quel point c’était agréable, ces moments d’échange avec d’autres auteurs. Ça me stimulait, je rentrais chez moi avec l’envie d’écrire. De manière générale, les salons sont l’occasion de constater que les autres écrivains sont aussi vulnérables que vous. À la parution de mon premier roman pour adultes (L’Infamille, en 1997), j’avais formé une sorte de trio avec les deux autres auteurs que publiait L’Olivier cette année-là, Jean-Hubert Gailliot et Diastème. On était trois écrivains très différents mais notre complicité amicale, nourrie au cours des salons, nous a portés sur nos deux ou trois livres suivants. C’est quelque chose qui n’arrive jamais, je crois, au cinéma. Quand on rentre d’un festival, on se dit : « J’arrête ! » (rires).
Les festivals sont pour les lecteurs l’occasion de rencontrer des auteurs qu’ils admirent. Vous avez écrit et monté une pièce, Les Idoles, en 2018, sur les rencontres que vous n’avez pas pu avoir avec Hervé Guibert, Serge Daney, Jean-Luc Lagarce, Jacques Demy, Cyril Collard…
On fantasme toujours, quand on est jeune écrivain, jeune cinéaste, sur la rencontre avec un aîné qui va, en un sens, vous baptiser comme artiste. Les Idoles, en effet, partait de cette idée que des gens que j’avais admirés, qui m’ont formé, étaient tous morts du sida quand je suis arrivé à Paris. J’ai eu l’impression d’entrer dans un cimetière, ce qui a marqué mes premiers livres et mes premiers films. On ne pouvait parler qu’à des fantômes. Mais le baptême dont je parlais peut venir de personnes inattendues. Dans le premier immeuble où j’ai habité à Paris vivait le critique Claude Michel Cluny (1930-2015). Quand mon premier livre, Tout contre Léo est sorti (éd. L’École des loisirs, 1996), je le lui ai déposé, et il m’a invité chez lui pour discuter. Étrangement, cet homme très éloigné de moi dans ses goûts m’a pris au sérieux dans quelque chose d’un rapport entre écrivains. Ça a été un moment très important pour moi.
Dans les salons du livre, des conversations avec un auteur dont vous avez lu les livres, et qui s’intéresse à ce que vous faites, peuvent avoir lieu. Vous en ressortez avec une énergie nouvelle, et peut-être un moindre sentiment d’imposture.
Comme parrain de ce festival, vous avez voulu inviter à converser deux jeunes écrivains, Corentin Durand, auteur de L’Inclinaison (éd. Gallimard, 2022), et Laura Vazquez, qui, après La Semaine perpétuelle (éd. du Sous-sol, 2021), vient de faire paraître Le Livre du large et du long. Pourquoi ?
Laura Vazquez et Corentin Durand sont des jeunes romanciers chez qui on sent un tel désir de littérature que ça me ravit. Ils ont tous les deux un grand plaisir d’écrire, sont généreux, inventifs, audacieux dans leur rapport à la langue et au récit…C’est merveilleux que la littérature fasse encore rêver des jeunes gens si doués.
Vous avez aussi eu envie que l’on évoque, au cours d’une rencontre, les liens entre le cinéma et la littérature.
Les liens entre le cinéma et la littérature sont éternels. Mais j’ai l’impression que les producteurs, aujourd’hui, sont tellement à l’affût de nouvelles idées que les livres circulent plus et plus vite que jamais.
Les écrivains ne sont pas les moins bonnes personnes quand il s’agit de savoir écrire, il n’est donc pas illogique que le cinéma les sollicite, le plus souvent comme coscénaristes, et ça peut donner des choses intéressantes. Après, il faut bien admettre que c’est un pacte avec le diable. C’est plus facile d’écrire un scénario puisque la question de la langue ne se pose évidemment pas de la même façon qu’en littérature. Quand j’écris un livre, j’ai l’impression d’être avec mon burin face à une plaque de marbre : c’est long, jalonné de doutes. Un scénario n’est pas un film, c’est un objet absolument transitoire. Après en avoir écrit un, au moment de se remettre à un livre, le poids de la littérature est d’autant plus colossal.
Quand vous êtes un cinéaste écrivain, vous êtes plus libre, et peut-être plus lucide sur la manière dont la littérature infuse dans vos films – par le mouvement, le montage, la structure du récit ou la manière de casser la notion de personnage. J’ai eu envie de parler de ça.
MOT pour Mots propose des lectures par des comédiens du Français. Il vous a été demandé de choisir des textes parmi ceux d’auteurs dont cette année marque un anniversaire de naissance ou de mort. Vous avez choisi, pour Charles Péguy (1873-1914), L’Argent (1913), pour Colette (1873-1954), La Naissance du jour (1928) et pour Monique Wittig (1935-2003), Les Guérillères (1969). Pourquoi ?
En ce qui concerne Péguy, on oublie trop souvent sa veine polémique et laïque. J’ai pensé que, dans le climat social, les questions de l’argent, de la domination de l’État, de la pauvreté n’étaient peut-être pas inintéressantes. Quant à Colette, c’est toujours bien de l’entendre ! J’ai un attachement particulier à La Naissance du jour, qui est la seule adaptation filmée par Jacques Demy pour la télévision (1980). Et cela m’amuse que Colette joue tellement avec le réel et la fiction, les personnages et leurs modèles. À propos de Wittig, je me suis dit qu’on parlait beaucoup d’elle pour des raisons politiques, moins pour ce qu’elle a représenté comme écrivaine, pour sa langue particulière, qu’on entend notamment dans Les Guérillères. C’est une manière de faire rouler la phrase qui fait penser à des psaumes. Pour qu’il y ait héritage politique, il faut qu’il y ait une grande écriture. Cela va forcément de pair.
Propos recueillis par Raphaëlle Leyris
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